MEDIA CORSICA
Pedru Felice Cuneo-Orlanducci
Spécialiste en Environnement
Son actualité :
Qu’est-ce qu’une langue minoritaire ?
Lorsque Pierre-Paul Battesti m’a confié l’administration de la partie dédiée aux langues minoritaires du site Mediacorsica, je dois avouer qu’une fois la réjouissance passée de l’honneur qui m’était fait, je me suis senti un peu angoissé. Que pouvais-je bien dire, moi qui n’ai pas de formation de linguiste à proprement parler sur le thème des langues, a fortiori minoritaires ? Je me considère certes comme locuteur, à l’écrit comme à l’oral, d’une langue considérée comme minoritaire, la langue corse, et je peux encore revendiquer à mon actif la traduction en corse du Grand Inquisiteur de Dostoïevski, mais est-ce pour autant suffisant pour connaître et aborder un sujet aussi sérieux ? Et puis qu’est-ce qu’une langue minoritaire, au juste ?
La définition la plus communément admise définit une langue minoritaire comme une langue parlée dans un pays clairement défini par opposition à la langue majoritaire de ce dit-pays. Il peut parfois s’agir de langues dites autochtones, ou indigènes, appellations aux connotations presque aussi dépréciatives que celle de "patois" pour qualifier une langue originelle, qui préexistait avant que ne survienne un quelconque processus d’officialisation, ou d’uniformisation. On retrouve cela en association fréquente avec la colonisation occidentale. Ainsi, il est à noter que dans de nombreux pays, la langue "majoritaire" reste encore aujourd’hui la langue importée et imposée par le colon, celui-là même qui s’était empressé, à peine débarqué sur ses nouvelles terres, de reléguer les langues premières des peuples ainsi envahis au second plan. Aux colonisés en tout genre, on avait alors présenté la nouvelle langue comme un outil indispensable d’accès à une civilisation, la civilisation imposée, qui leur offrait en outres une nouvelle fenêtre de communication avec d’autres peuples. Alors à quoi bon conserver encore ces archaïsmes préhistoriques, semblait alors leur dire l’insupportable arrogance européenne.
Tel est le schéma le plus couramment observé dans un grand nombre de pays d’Afrique, ou d’Asie dans une moindre mesure, mais d’une façon totalement différente en Amérique, peut-être plus poussée encore. Plus près de nous, en Europe, la marginalisation et la paupérisation à travers les décennies des langues que l’on dénomme minoritaires a le plus souvent suivi une dynamique relativement similaire, malgré un contexte de départ que l’on peut, la plupart du temps, qualifier de différent.
La linguistique nous enseigne que l’espèce humaine a donné naissance aux quatre coins du globe à un vivier incroyablement important de moyens de communication orale que sont les langues, et s’il est vrai qu’il est possible de communiquer avec la très grande majorité des êtres humains qui peuplent la planète en n’utilisant que quatre ou cinq langues, est-ce pour autant que les autres dussent être jetées aux oubliettes de l’Histoire, dans les musées de la connaissance humaine ? Non, certainement pas.
Fort heureusement, les temps changent, et l’on commence enfin à prendre conscience de la richesse incroyable qui réside dans chaque langue quel que soit le nombre de ses locuteurs. Car au-delà d’un moyen de communication, au-delà d’une simple symbolique, les langues sont véritablement les âmes des peuples. La philosophie nous l’enseigne : sans langage, il n’y a pas de pensée, et par là, pas de culture. A l’heure où l’on prétend s’opposer à une uniformisation culturelle au niveau mondial, il est essentiel de ne pas perdre de vue la nécessité de garder vivantes ces langues que l’on dit minoritaires.