MEDIA CORSICA
Liliane Vittori
Vit à Erbalunga et à Porri di Casinca, journaliste
Née à Bastia, et je suis journaliste (télévision et presse écrite). Corse avant toute autre définition, j’ai beaucoup voyagé mais mon village reste le port d’attache et la réponse à toute question existentielle. Parce que chaque été, à Porri-di-Casinca, nous reformons le grand cercle de famille, dans cette île notre « Matre universale ».
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Libération de la Corse...
Evoquer la Libération de la Corse et tenter de visualiser cette période dans le temps long de l’histoire de l’île…et réaliser cette mise ne perspective bien modeste comme un jeu, le temps d’un après-midi dans la belle Médiathèque Castagniccia à Folelli ? Ce brain storming pour historiens confirmés ou amateurs éclairés sera-t-il un défi amusant pour mieux apprécier les destinées de Paoli, Napoléon et Danielle Casanova ?
Samedi 10 septembre : Liliane Vittori Journaliste et Marie-José Augey-Vittori, Présidente de Anacr Aveyron, organisent une journée « 2 films et 1 débat pour découvrir ou revisiter la Résistance, la Déportation et la Libération de la Corse. Occultée par une « Histoire de France » arrogante : l’histoire de la Corse est pourtant un extraordinaire voyage dans le temps long. Une dialectique dédiée à la démocratie, à la liberté, une accumulation de sites archéologiques remarquables, de personnalités politiques et d’évènements, d’amplitude nationale et internationale.
Pour vibrer avec cette continuité historique notamment avec la Libération anticipée de l’île en 1943 voici à 10h : « Nom de code : Léo » (de Dominique Lanzalavi), l’itinéraire du grand résistant Etienne-Louis Micheli devenu « Léo ». Adolescent bastiais, il n’est ni déstabilisé, ni décontenancé par l’alliance temporaire Staline-Hitler, non plus que par l’interdiction qui frappe le Parti Communiste Français clandestin. Alors le jeune Leo a tant agité le cocotier et mobilisé les Jeunesses Communistes de Bastia que son activisme avait supplée ou même dit-on « supplanté » jusqu'en 1941, la défaillance du PCF en Corse ! Affaire à suivre….
A 14 h : « Résistantes Corses Déportées » de Jackie Poggioli.
Ce film-événement, eut l’honneur d’être projeté à l’Assemblée Nationale puis le 8 mars à l'Assemblée de Corse. Il remet en pleine lumière les destinées des résistantes corses déportées, doublement oubliées, parce que femmes et parce que corses. Pour comprendre la portée du travail d’historienne de la documentariste Jackie Poggioli, précisons que Danielle Casanova, certes « Héroïne nationale de la République » n’est jamais autant célébrée que Jean Moulin, représentant de de Gaulle, pour unifier la résistance intérieure. Car on connait moins, voir pas du tout…la destinée prestigieuse et tout aussi tragique de la dirigeante communiste Danielle Casanova qui, arrêtée à Paris par la Gestapo, mourut à Auschwitz en 1943. Elle s’appelait Vincentella et chaque étape d’une ascension politique remarquable, elle développe des qualités exceptionnelles d’organisation, au sein des Jeunes Filles de France puis des instances dirigeantes du PCF clandestin. Elle organise la fameuse manifestation du 14 juillet 1941 ou l’on chante la Marseillaise dans Paris occupé par les SS et la Gestapo. La mission des journalistes devenus par la historiens de la Corse? Exhumer avec courage et obstination, dans les dédales des archives et des témoignages, les destinées héroïques qui font l’histoire de la Libération de la Corse.
Comment assurent-ils la transmission de la mémoire ?
Rappelons, que tout le territoire de la Corse, s’inscrit dans une perspective historique phénoménale. Toutes les régions de Corse, sans exception, sont concernées. Des sites préhistoriques à la civilisation torréenne, jusqu’aux Peuples de la mer Shardanes et Corsi, aux implantations grecques, étrusques, romaines. Après les razzias barbaresques, arrivent le temps des seigneuries et castelli, les monastères et églises romanes, puis Christophe Colomb, L’Office St-Georges, la Corse génoise, le Roi d’Aragon, le Roi Théodore, les Révolutions de Corse. Une histoire comme couronnée par le Siècle des Lumières européen, qui compte deux héros corses majeurs. Pascal Paoli et Napoléon Ier Empereur des Français, tous deux dotés d’une « conscience politique augmentée », vécurent comme de véritables machines à penser la société et à légiférer. Ils ont imaginé, implanté, exporté des concepts politiques modernes, innovants partout en Europe et jusque vers les Constitutionnalistes américains directement inspirés de Paoli.
Autre exploit : la Libération anticipée de l’île « par son peuple » en 1943, après un mois de combats contre deux divisions allemandes la 90e Panzer Grenadier et la SS Reichsfuhrer avec le concours des troupes françaises coloniales (Bataillons de Chocs, Tabors et Goumiers). La Corse libérée est une répétition générale et une véritable leçon de politique pour de Gaulle. Des épisodes bien réels, qui se sont déroulés en Corse et qui rivalisent avec le meilleur scénario de fiction historique. Dans le contexte du programme nazi de Hitler, la Corse subit d’abord les projets d’annexion de Mussolini et l’Occupation italienne (80 000 carabiniers en 1942 dont la police politique l’OVRA). La Résistance insulaire apparaît alors comme un chapitre décisif, avec son organisation impeccable, ses imprimeries clandestines, ses communications radios, ses maquis, ses missions secrêtes. En Corse, les armes envoyées par Alger sont parachutées (soixante terrains ) ou directement livrées sur les plages ( épopée du sous-marin Casabianca ) puis convoyées à la barbe des Italiens au péril de la vie des « patriotes ». Ensuite vient « la chasse à la panzer ». Avec le brassard à tête de maure,10 000 Corses (et de nombreuses femmes), harcèlent et chassent la 90ème Grenadier et la Reichsfuhrer SS à Lévie, Quenza, Conca, Lecci, Ste-Lucie de Tallano, San-Gavino-di-Carbini, Sartène, Ghisonnaccia, Antisanti. Puis dans le Fium’Orbu le défilé de l’Inzecca, le Col de l’Ospedale, Aleria. Au nord les allemands sont harcelés en montagne à Silvarecciu, Piano, Pietroso, puis en plaine à Casamozza, Champlan, Barchetta, Folelli, et enfin dans le Cap Corse à Teghime devenu Col des Goumiers. Bastia est libérée le 4 octobre. Avant-dernier chapitre : l’USS Corsica (l'Ile Porte-avions, surnom donné par les pilotes) soit vingt bases avancées aériennes américaines en plaine orientale de Penta-di-Casinca à Ghisonnaccia.uss-corsica Et ce n’est pas tout mais qui le sait ?
A Ajaccio le 15 août 44, l’amiral Cunningham, commandant en chef maritime en Méditerranée, donne le coup d’envoi de l’invincible armada des Alliés du Débarquement de Provence (150 000 hommes, 853 navires de guerre et transports, forces amphibies d’assaut, escorteurs, dragueurs de mine, plus 1267 bâtiments divers et 20 000 véhicules). Dans « Tonnerre sur la Corse »
Jean Victor Angelini écrit :
« De Bastia à Propriano, tous les aérodromes, les ports, plages rades et criques de l’île sont utilisées jusqu’à saturation, le spectacle le plus impressionnant qu’ait connu la Méditerranée ». Une étape cruciale tout aussi essentielle que Le Day D de Normandie mais bizarrement absente des commémorations médiatiques. Enfin, 22 classes d’âges corses sont engagées dans les armées Leclerc et de Lattre. Mais diffuse ces informations historiques dans l’hexagone exceptés quelques historiens souvent bien silencieux ? Pourtant les militants des Anciens Résistants de Corse (Anacr 2A et 2B), avaient remué ciel et terre pendant 60 années pour obtenir que les manuels scolaires français mentionnent enfin « Corse premier département français libéré ». Une ultime bataille qu’ils baptisèrent « Contre l’Oubli ». L’histoire de France est-elle injuste avec la Corse ?
La réalisatrice Jackie Poggioli nuance : « l’histoire de France n’est pas un bloc monolithique. Les histoires de la Bretagne, du Pays Basque, de l'Alsace-Lorraine, de la Savoie ne sont pas réductibles à celle de l'Etat français. La Corse, singulière, située hors Hexagone, dans l'aire géographique italique a un profil particulier. Deux siècles et demi après notre annexion par la France, des Continentaux voient notre île comme un appendice étrange et étranger, pas vraiment intégré dans l'imaginaire national français. Même si c'est un Corse, Napoléon, qui a été le maître d'œuvre ... de nombreuses institutions de l’Etat. » Dominique Lanzalavi, sensible au rayonnement de l’histoire de la Corse, a réalisé un film remarquable sur les élites politiques corses de la III ème République (A.Landry, C. Campinchi, de Moro-Giafferi). Il considère que la Corse « premier département français libéré à une place à part dans l’histoire de France, elle a été un laboratoire politique grandeur nature pour de Gaulle. Grâce à la Corse, il a retourné une situation ambigûe, il a supplanté Giraud, devenant ainsi le seul chef de la France Libre. Pour moi, faire des films sur la Corse, lui redonner à la place qu’elle mérite, reste ma motivation prioritaire.» La majorité des épisodes tragiques de l’histoire de la Corse restent peu connus du grand public tant insulaire que continental. Remarquable travail d’historienne, le documentaire de Jackie Poggioli en est l’exacte démonstration. Qui sont ces femmes déportées - Nuit-et-Brouillard Nacht-und-Nebel - , extirpées de la nuit de l'histoire ? Outre l’emblématique Danielle Casanova : ce film a été conçu avant l’entrée au Panthéon de Germaine Tillion et Genevieve Anthonioz-De Gaulle (27 mai 2015). On sait maintenant, que 18 Résistantes corses déportées, désormais répertoriées et tracées, sont elles-aussi, passées ou décédées à Ravensbrück, Mauthausen et Auschwitz : « ces Résistantes corses déportées n'avaient jamais été identifiées, ni recensées avant mon investigation. Sur les 18 nées en Corse - car j'en ai retrouvé d'autres nées dans l'Hexagone - que j'ai précisément exhumées, les seules connues étaient Danielle Casanova, Noëlle Vincensini et dans une moindre mesure Maria de Peretti, à l'héroïsme pourtant aussi grand. Les autres gisaient dans la nuit de l'Histoire, grandes oubliées des commémorations. Elles constituaient un trou noir de l'historiographie corse comme continentale. La Corse est un champ périphérique pour l'historiographie hexagonale, qui a elle-même considéré très longtemps les femmes comme un domaine de recherche marginal ! « L’Histoire des Femmes n'a émergé que depuis les années 70. » Le samedi 10 septembre à Folelli on reparlera de Marie Ely née Ortoli (épouse du général Ely futur chef d'Etat major), de Marie-Louise Antelme née Rocca Serra (qui a sauvé F. Mitterrand d’un guet-apens tendu par les nazis), de Noelle Vincensini ( ex FTP, fondatrice de Ava Basta), de Janine Carlo (épouse de Jean-Pierre Lévy, fondateur du Mouvement Franc-Tireur), de Maria de Pere, du réseau Marco Polo, de Graziella Canazzi ( réseau d’Henri Frenay du Mouvement Combat), de Marie-Thérèse Sartini ( réseau Pat O’ Leary), des soeurs Colombani (réseau Rossi). Quant à Danielle Casanova - véritable prénom Vincentella - son action dans la Résistance est revisitée ici grâce à l’interview de sa nièce, Isaline Amalric-Choury. Pour saluer l’extraordinaire histoire de la Corse, il suffit d’écouter simplement les mots d’un Charles de Gaulle ému, surpris et séduit, comme envoûté par une île libérée qui l’a acclamé partout en Corse en octobre 1943, de Sartène à Levie, de Ajaccio à Corte et Bastia. rere-degaulle-bastia Le Chef de la France Libre (qui était encore condamné à mort par Vichy), en stratége et en diplomate, remet la Corse dans la perspective historique qu’elle mérite faisant référence implicite à la carrière de Napoléon :
« La Corse à la fortune et l’honneur d’être le premier morceau libéré de la France. Chaque fois que la France entâme une période nouvelle de sa vie, et de sa grandeur , il faut que les Corses en soient les artisans et les témoins. (…) C’est d’Ajaccio que nous voulons crier notre espoir de voir cette mer latine redevenir un lien et non un champs de bataille. ».