MEDIA CORSICA
Jean-Pierre Rumen
Vit à Bastelicaccia
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La vie avec Lacan
Catherine Millot est psychanalyste. Elle est aussi un écrivain qui a publié une dizaine de
livres en trente ans. La qualité de son écriture permet de dire que c’est un auteur, un vrai.
De plus c’est une fort belle femme.
Voilà, je n’ai utilisé ni écrivaine ni auteure et j’ai dit qu’elle est belle ce qui devrait suffire à
déchaîner les Erynies du féminisme et de la réforme grammaticale réunies.
Au moins on sait où on en est, on peut continuer.
Or je ne veux pas parler de Catherine Millot aujourd’hui mais de ce qu’écrit Jean Allouch
(oedipe.org) à propos de son dernier ouvrage : « La vie avec Lacan » (NRF)
Elle y raconte, entre autres, qu’un jour, Lacan dessinait un noeud borroméen[1], et lui a dit :
« Tu vois, ça, c’est toi »
« Un « toi » qui présente ceci de spécifique de n’impliquer aucun « nous » ponctue Allouch.
Lacan aurait aurait pu dire que cela ne concernait pas « les trumains… »
Cette nuance dans la formulation (l’évitement du nous) pourrait paraître bien ténue mais a en fait des conséquences logiques de première importance.
Cette nuance affirme la solitude irréductible du « parlêtre »(sémantème que l’on doit aussi à Lacan pour indiquer que l’Être ne se manifeste que parce qu’il parle), ce qui rend impossible la généralisation des conclusions advenues au cours de chaque trajet psychanalytique individuel; de façon subsidiaire cela indique qu’il ne peut pas y avoir, dans la cure, d’intervention qui trouverait sa source en dehors d’elle, la cure, ce qui suffit à séparer radicalement psychanalyse et psychologie.
Donc l’interpellation des psychanalystes sur leurs « résultats » est d’une parfaite inanité, les seuls témoignages ne pouvant être que ceux des « analysands"[2] pris un par un.
Egalement inane , et pour les mêmes raisons, la question de l’utilité sociale de la psychanalyse.
Les élaborations se donnant pour psychanalytiques dans l’appréciation de l’art, du politique, du social ne peuvent éclairer que sur celui qui les utilise, celui qui parle, l’analysand en quelque sorte.
On voit bien alors comment la prise de parole publique est contrainte à la « langue de bois », à la récitation des vulgates qui n’expose pas le parleur, qui l’abrite des formations de l’inconscient mais qui montre qu’il est parlé plus qu’il ne parle; il peut advenir qu’il n’énonce pas ce qu’on s’attend à entendre, c’est alors toujours un peu obscène. La gène qu’on éprouve à « prendre la parole » en témoigne.
On pourra noter en corollaire l’absurde de ces oxymores comiques : « nous les psychanalystes » voire « nous les lacaniens » pour ne rien dire du journalistique « les psys »
Malheureusement, ces errements sont d’abord le fait de praticiens, même (et surtout) parmi les fondateurs ou les plus glorieux d’entre eux. Les résistances à la psychanalyse se logent chez les psychanalystes.
Puissent ces considérations sur le petit « c’est toi » de Lacan servir de pense-bête ( panse- bête? )
Et merci à Catherine Millot et à Jean Allouch de nous l’avoir fait connaître.
[1] Le noeud Borroméen est un agencement de trois ronds de ficelle tel que si on en coupe un les deux autres sont libres. Lacan récuse que ce soit un modèle de quoi que ce soit, il s’en sert pour parler sur réel, symbolique, imaginaire tels qu’ils se manifestent dans l’activité psychique.
[2] De l’anglais : »A person who undergoes psychoanalysis » peut-être utilisé par Lacan à la suite de son voyage de 1947 pour indiquer qu’il ne saurait y avoir « d’analysé ». On dit plus plus volontiers de nos jours « psychanalysant »