MEDIA CORSICA
Liliane Vittori
Vit à Erbalunga et à Porri di Casinca, journaliste
Née à Bastia, et je suis journaliste (télévision et presse écrite). Corse avant toute autre définition, j’ai beaucoup voyagé mais mon village reste le port d’attache et la réponse à toute question existentielle. Parce que chaque été, à Porri-di-Casinca, nous reformons le grand cercle de famille, dans cette île notre « Matre universale ».
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A Ajaccio : 44 partis de " l'Europe des peuples" (31 mars-3 avril)
Ni anxiogène, ni populiste, ni jacobine, avec en avant-garde, la Corse, l'Ecosse, la Catalogne : " l'Europe des peuples" de l'Alliance Libre Européenne présidée par François Alfonsi en AG à Ajaccio. Europe démocrate et solidaire, bien ancrée dans les territoires, pour des politiques publiques en faveur de l'emploi pour tous, de la relance, excluant l'option chômage de masse.
L’Europe est-elle devenue anxyogène alors que ce colosse pèse 24% du PIB mondial et compte 508 Millions d’habitants pour 28 Etats ? Les attentats terroristes de Bruxelles, les arrivées massives de migrants (3 millions en 2017!), les probables Brexit et sorties de l’€uro et de l’UE, ont contribué à installer un climat de défiance, exploité par les partis populistes et anti européens. De ce chaos annoncé, émerge pourtant une doctrine politique solidaire, ancrée dans les territoires européens et bâtie sur le principe démocratique de l’autodétermination et fédéralisme. Les plus fervents défenseurs de cette « Europe des peuples » sont au pouvoir en Ecosse, en Corse, en Catalogne, des victoires auxquelles s’ajoutent des participations dans des gouvernements régionaux. Tous seront réunis à Ajaccio (31mars-3 avril) pour l’AG de l’Alliance Libre Européenne, fédération de partis européens présidée par François Alfonsi maire d’Osani et ex eurodéputé. Une première pour la Corse, pour le Président de l’Exécutif Gilles Siméoni, pour les élus (es) insulaires. Seront présent aussi bien Ian Hughton (Pd du Scottish National Party), que Jordi Solé Secrétaire aux Affaires Etrangères de la Catalogne. Soit pas moins 44 partis européens représentés dont Euskadi, Galicia, Wales, Iles Aland, Frise, Silésie, Sardaigne, Val d’Aoste, Sud Tyrol, Pais Valancian, Baléares, Nagorno Karabakh, Bretagne, Occitanie…
Au programme les solidarités européennes, les liens et jumelages entre ces régions européennes qui revendiquent plus d’autonomie économique linguistique, culturelle. Quelle sont les solutions et approches concrêtes de l’ALE ? Quel sera le rôle politique de la Corse, désormais bien accrochée aux locomotives écossaise et catalane ? Voici les constats et analyses politiques de François ALFONSI Président de l'ALE.
LilianeVittori
1- L’Europe est-elle à la dérive, quelle est pathologie et votre diagnostic ?
- François Alfonsi : L’Europe est à la peine. Elle connait une flambée de populisme, en France avec la poussée du Front National, mais aussi en Scandinavie, en Italie, en Pologne, en Hongrie, en Slovaquie, aux Pays Bas, en Autriche, etc.. Presque aucun pays n’est épargné, pas même l’Allemagne avec la montée d’un parti anti-européen sur fond de crise des migrants. Et bien sûr, il y a le cas britannique et le referendum sur le Brexit en juin prochain où le non à l’Europe peut l’emporter. La crise est aussi économique avec des pays entiers qui sont passés à deux doigts du dépôt de bilan. Et elle est enfin politique avec une panne de la construction européenne qui impacte considérablement sa capacité d’action quand elle doit faire face à un problème majeur comme la crise des migrants, ou le terrorisme de Daech. Est-elle pour autant à la dérive ? Les pays qui risquaient la faillite sont restés à flot. Certes l’Irlande qui a retrouvé de forts taux de croissance et fait retomber son chômage bien en dessous de 10% est bien plus à bon port que la Grèce qui reste très en difficulté. Mais c’est grâce à l’Europe qu’Alexis Tzipras a pu maintenir son pays à flot et qu’il peut continuer d’espérer en son redressement. Italie, Espagne et Portugal sont dans l’entre-deux, mais ils empruntent désormais à des taux d’intérêts « normaux », ce qui est un indicateur patent d’une amélioration de leur situation. Les 750 milliards d’euros du mécanisme européen de stabilité ont permis d’éviter de véritables catastrophes économiques pour ces pays. Il s’agit d’un engagement financier sans précédent pour l’Union Européenne, qui démontre, concrètement, sa capacité à répondre aux situations. On a parfois du mal à mesurer l’ampleur de cette somme, deux fois le budget annuel de l’Etat français !
La solidarité européenne reste donc une réalité, et son impact rejaillit sur les autres problèmes. A quel point serait-on arrivés dans la crise des migrants si la Grèce, l’Italie ou l’Espagne s’étaient effondrés économiquement ? A quel niveau monteraient alors les populismes européens ? Et comment pourrait-on bâtir une stratégie plus efficace dans la lutte contre le terrorisme si les structures d’Etat dans ces zones stratégiques s’étaient encore plus affaiblies ?
L’Europe est bel et bien un pilier de la stabilité de nos sociétés, et elle est l’espace pertinent pour mener les politiques adaptées face aux problèmes de l’heure : crise économique, migrants, terrorisme. Elle reste une nécessité qui crève les yeux : par exemple, le manque d’intégration des systèmes de lutte contre le terrorisme entre Belgique et France a eu des conséquences désastreuses. Mais l’Europe a perdu son pouvoir dynamique. La responsabilité est avant tout celle des Etats qui renâclent dans la construction européenne pour maintenir des systèmes de pouvoir qui sont aujourd’hui dépassés.
2- Les 44 partis ALE et R&PS ont-ils des approches concrêtes à moyen terme, et des solutions à court terme pour relancer l’unité européenne et lancer une Europe des Peuples ? A Bruxelles comme en local quelle est la revendication centrale ?
- François Alfonsi : L’Europe est une construction de dimension historique. Tous nos partis défendent des réalités européennes historiques incontestables. Chacun de nos peuples a contribué à l’Histoire de l’Europe, et il est juste qu’ils aient leur place à part entière dans le Futur de l’Europe. Tel est le message principal porté par l’ALE au sein du Parlement Européen depuis que celui-ci a été créé, en 1979. Aujourd’hui ils sont douze députés qui, au-delà de leur propre pays, portent la parole de tous les partis membres de l’ALE à Bruxelles et Strasbourg.
Le droit à l’autodétermination est un pilier des valeurs démocratiques, au même titre que la liberté de la presse, l’indépendance de la justice ou le droit des femmes. Les Etats le bafouent au quotidien. Par exemple quand l’Etat français refuse que la langue corse soit officielle malgré les votes ultra-majoritaires de l’Assemblée de Corse, il bafoue une valeur démocratique fondamentale. D’autres Etats européens sont beaucoup moins totalitaires ! Par exemple, le catalan ou le basque sont officiels en Espagne, le gallois au Royaume Uni, le danois et le frison en Allemagne, le suédois et la langue sami en Finlande, etc…. Même le français est langue officielle en Italie, au Val d’Aoste !
En défendant les droits des peuples là où les Etats les bafouent, nous renforçons la démocratie européenne, et donc nous contribuons à une Europe plus juste, et mieux comprise par les citoyens. Une illustration concrète : en Ecosse le oui à l’Europe devrait l’emporter alors que le non est favori ailleurs dans le Royaume Uni. L’Europe doit permettre de dépasser les conflits entre les minorités et les capitales comme Londres, Madrid ou Paris.
3 - Les 28 Etats européens souffrent-ils d’un jacobinisme aux effets ravageurs comme ceux constaté en France, notamment sur l’économie et le lien social. A cause du chômage de masse, résultat des politiques publiques françaises de non-emploi, et d'un société pyramidale , à laquelle coopèrent aussi les "partenaires sociaux" qui ne représentent plus le pays réel ?
- François Alfonsi : Comme je l’ai illustré à travers l’exemple de la langue, la France est un pays très arriéré, replié sur un centralisme suranné, et qui multiplie les « mauvaises pratiques » vis-à-vis de ses minorités, dans l’hexagone comme outre-mer. Cela rejaillit sur tous les autres niveaux. Au plan de l’économie, le système fédéral allemand démontre chaque jour sa supériorité sur le système centraliste à la française. L’autonomie libère l’énergie des régions et des peuples. Et l’intérêt de l’Europe est que chaque peuple contribue à sa prospérité à travers son propre développement. Les Etats du 19ème siècle sont à la fois des freins à la construction européenne, et des étouffoirs pour les dynamismes régionaux. Ils ont fait leur temps. Il est temps de passer à autre chose. Pour la Corse, c’est urgent.
4 - Quel est l’impact de cet événement AG européenne avec des eurodéputés présents, pour la Corse et sa gouvernance autonomiste ?
- François Alfonsi : La tenue de l’Assemblée Générale 2016 de l’ALE à Aiacciu est une décision que nous avons prise bien avant que le scrutin de décembre 2015 ne donne la majorité à la liste conduite par Gilles Simeoni. Mais, incontestablement ce succès a renforcé son intérêt pour nous autres en Corse, et pour l’ALE en général. Désormais, l’ALE compte 13 partis qui participent à des gouvernements dans leurs régions respectives. C’est un niveau sans précédent. Il y a des situations très connues comme l’Ecosse, la Catalogne et la Flandre où nos partis sont dominants dans les coalitions au pouvoir. Mais c’est aussi le cas aux îles Äland, aux Iles Baléares, dans le land du Schleswig-Holstein dans le nord de l’Allemagne, dans le Pays valencien en Espagne, et désormais en Corse. Il y aura en Corse un représentant officiel du gouvernement catalan qui établira un contact officiel avec Gilles Simeoni. La coopération entre les nations sans Etat est nécessaire pour que chacun arrive à ses fins. L’AG de l’ALE est un évènement qui permettra d’accélérer la dynamique en Europe après notre succès de décembre dernier.
5 - Comment la Corse, la Catalogne, l’Ecosse font-ils avancer le principe de l’autodétermination des peuples ?
- François Alfonsi : La Catalogne et l’Ecosse sont bien évidemment deux locomotives essentielles pour l’ALE. Par leur poids démographique et économique, par leur long parcours politique depuis que l’autonomie existe pour chacun de ces peuples, par les résultats électoraux largement majoritaires que les partis nationalistes y obtiennent depuis de nombreuses années, ils sont essentiels pour faire « bouger les lignes » et obliger l’Europe à regarder les situations politiques locales autrement qu’à travers le prisme des Etats-membres. La Corse n’a pas encore l’autonomie, et c’est la première fois que les nationalistes ont atteint le pouvoir au sein des institutions locales. Il nous reste un long chemin à parcourir pour les rejoindre. Et notre poids économique ou démographique n’est pas comparable ! Mais, depuis décembre, on voit bien qu’il est possible d’arrimer le « wagon corse » au train tiré par les locomotives écossaise et catalane !
Propos recueillis par L Vittori