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Bernard Stiegler

 

 

J'ai eu le plaisir de rencontrer Bernard Stiegler à plusieurs reprises. La première fois, grâce à mon

ami Toni Casalonga, il m'avait invité chez lui à dîner. Comme à mon habitude j'étais arrivé en

avance et reçu par sa compagne, je l'attendais, ému et impressionné de me trouver dans un si

beau lieu. Les fenêtres de son vaste appartement donnaient sur le Centre Beaubourg...

Cette place que j'avais tant de fois traversée.

J'avais l'impression de me sentir au centre d'un film de Lelouch, je ne pourrais expliquer pourquoi...
J’étais venu avec ma compagne, les bras chargés de cadeaux. Nous avions apporté des fleurs, un beau gâteau et des livres que j'avais, en qualité de directeur de collection, réalisés pour mon éditeur.

J'étais très ému car si j'avais souhaité le rencontrer, c'était principalement pour lui proposer une collaboration à un projet qui me tenait à cœur.

Enfin il fit son entrée, grand dans son manteau et coiffé d’un chapeau à large bord.

Avant de nous saluer, il fit le tour des divers lampadaires du salon où nous étions confortablement installés, pour tous les allumer. Je fus surpris par ce geste qui semblait chez lui, anodin et habituel. L'éclairage n'amenait pas à la pièce plus de lumière en fait, mais à cet instant je pensais à ma compagne qui faisait chez elle la même chose. Quel besoin d'allumer toutes les lampes autour de soi pensais-je, alors qu’on y voit très bien ?!

Je me disais que les Parisiens avaient besoin de lumière, plus que nous, les Corses, qui vivons tous dans la lumière de notre île...

Le projet lui plaisait, il y mit une condition, je lui promis que sans elle rien ne se ferait, et rien ne se fit, hélas... 

C'est comme ça, si souvent on passe de l'émerveillement à la tristesse. Ce projet était fantastique, j'en étais si convaincu, si sûr qu'il ne pouvait qu'aboutir. Le député maire d'Ajaccio, que j'appréciais, avait été élu sur un slogan : "Ajaccio capitale de la Corse", ce projet lui offrait le moyen d'être capitale de la culture de la Corse tout au moins, voire du bassin méditerranéen. Bernard souhaitait simplement que l'action soit pérenne. Tellement sûr de moi, de cette qualité de partenariat, que sans réfléchir je lui dis "bien sûr". C'était sans compter sur les "administratifs" et les contingences politiques.

C'est tellement épuisant de voir que l'on n'est pas sur la même fréquence, incompris et rangé au placard des FBI (fausses bonnes idées)...

De toute façon, je gardais de Bernard un émerveillement d'enfant. Comme moi, les projets ne l'inquiétaient pas et encore moins de donner de lui et de son temps.

Il a habité en Corse un certain temps, en un lieu magique, Lama, et avait croisé mes amis.

Nous nous sommes revus à Pigna pour une formation qui s'adressait aux responsables des arts musicaux en Corse. Toni m'avait gentiment offert de participer en auditeur libre. Je n'ai jamais été un musicien, ou tout au moins pas un spécialiste de la musique, bien que ma mère soit violoncelliste. Souvent à coups de règle, j'ai dû faire des gammes de piano, aller dans des conservatoires où je me sentais affreusement mal, tant j'étais timide et introverti diront les spécialistes de l'âme humaine.

Aujourd'hui, j'ai franchi ce handicap en réalisant les envies de "faire"...

En fait, il y a eu dans ma vie un déclic.

Ce déclic je le dois à une personne, une personnalité que je vénérais, "José Giovanni". J'étais à Paris avec mon épouse, Magali, qui était venue faire un stage, et elle m'avait permis de l'accompagner. Le matin, elle était partie à sa formation pendant que moi, je flânais dans les environs de notre hôtel. Je traversais un grand boulevard (Mac Mahon) quand je croise sur un passage protégé, José Giovanni ! Sans réfléchir, j’opère un demi-tour et je me mets à le suivre... Nous continuons quelques centaines de mètres, il s'arrête à la terrasse d'un petit bistrot. Je m'installe à une table près de la sienne, et je commande un café. A cet instant, se joue dans ma tête un florilège de questions...

Vais-je aller vers lui et lui dire combien je l'estime, qu'il est pour moi une idole ? Le mot n'est pas galvaudé, sa vie, son œuvre, tout est si puissant... 

Pourquoi je parle de cela, eh bien pour moi, il y a une similitude entre ces deux hommes, un passé d'incarcération, un passé qui laisse des traces, des marques. L'un comme l'autre affirmaient leur détermination à voir la vie sous un certain angle, leur donnant la force de se relever et de s'impliquer, de réaliser des rêves... Il a rencontré mon maître Toussaint Desanti !

"L'homme est fait pour rêver" dit le chef indien à Grey Owl sous le tipi... (<= voici un PDF qui je pense vous donnera envie de connaître Grey).

La vie est ce que nous en faisons, je pense et j'espère que tout n'est pas écrit, que je peux être acteur de celle-ci la modeler selon mes désirs, c'est ce qui m'a fait créer ce media que je partage avec toutes celles et tous ceux qui le souhaitent... et José qui m'a permis de penser que tout est possible...

Bernard Stiegler (1952-2020) n’est pas le seul philosophe à avoir connu la prison. Socrate et Boèce y sont morts, Antonio Gramsci et Diderot y ont séjourné. Mais Bernard Stiegler est le seul philosophe à avoir rencontré la philosophie, non pas seulement en prison, mais par surtout par elle.

Bernard Stiegler n’était pas "destiné" à devenir philosophe. Après une scolarité assez brève, il enchaîne différents métiers, serveur, employé de bureau, ouvrier agricole, éleveur de chèvres, propriétaire d’un bar. Il braque une banque pour renflouer son bar, est arrêté et condamné. Il passera cinq années pleines dans les centres de détention de Saint-Michel à Toulouse puis au Muret, de 1978 à 1983.

La prison comme école de la phénoménologie

Bien loin de le briser, la prison fonctionne comme une révélation. Stiegler écarte l’idée de chercher à s’évader, il transforme en force l’épreuve carcérale. Il obtient l’autorisation de lire et d’écrire. Il est accompagné dans ce travail par le philosophe et traducteur Gérard Granel (1930-2000). C’est par choix délibéré que Bernard Stiegler vit son incarcération comme une expérience de solitude et de silence. Il dira après-coup, dans Passer à l’acte, qu’il pratiqua en acte, dans sa cellule, l’épochè phénoménologique, la mise entre parenthèses de notre croyance spontanée en l’existence du monde extérieur, que le phénoménologue pratique en pensée. Sorti de prison, il rencontre Jacques Derrida qui dirige sa thèse sur "La technique et le temps". Tout en exerçant d’importantes responsabilités institutionnelles (IRCAM, Centre Pompidou), Bernard Stiegler ne cessera plus de travailler sur les contradictions, les dangers, mais aussi les possibilités inhérentes à la prolifération technique dans un monde mis gravement en danger aussi bien sur le plan écologique que sur le plan politique.

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