MEDIA CORSICA
Paul AUSTER...
Alors que le grand écrivain américain Paul Auster vient de s’éteindre des suites d'un cancer,
Bertrand Py, directeur éditorial des éditions Actes Sud, revient avec émotion sur le parcours
d’une œuvre romanesque qui a bouleversé ses lecteurs.
De la disparition du romancier new-yorkais, subsiste l’atmosphère crépusculaire de
Moon Palace (1990, Babel), dont le personnage principal se situe dans un clair-obscur
existentiel, marqué par la solitude et l’errance. Se représentent aussi sous nos yeux une
kyrielle de personnages dont les doutes et les destins se croisent, dans Brooklyn Follies
(2005, Babel). Et puis, au fil des trajectoires romanesques, toute une mythologie autour de
la ville de New York. Celui qui confiait dans un entretien de 2013 sur France Culture
qu’« écrire c’est doubler la sensation d’être vivant » a marqué des générations de lecteurs, à partir des années 80.
C’est lors d’un voyage à New York en 1985 qu’Hubert Nyssen, fondateur des éditions Actes Sud, découvre Paul Auster. « François Samuelson, qui dirigeait le Bureau du livre français à New York, lui a signalé ce jeune Américain talentueux qui avait écrit des textes remarquables, et qui gravitait un peu dans la sphère francophile, puisqu’il était poète et qu’il traduisait de la poésie. Nyssen l’a rencontré et est rentré en France avec ses textes : nous avons décidé de nous lancer en publiant Cité de verre. Pour accompagner la publication du texte, une conférence de presse est organisée à Paris, et ce fut le moment de ma rencontre personnelle et amicale avec Paul Auster », se souvient Bertrand Py, le directeur éditorial des éditions Actes Sud, avec émotion. La Trilogie new-yorkaise connaît un vif succès, dans une France avide de lectures neuves, et s’imprime rapidement dans l’identité de toute une génération, portée par le charisme, la poésie et l’érudition de Paul Auster.
« Ce qui m’a d’emblée frappé, c’est sa capacité à raconter, avec un pouvoir de sédimentation, d’aimantation narrative très forte. Paul Auster dérange l’ordonnance habituelle de la narration, la présentation des personnages, il déconcerte les certitudes de la lecture traditionnelle, dans une tradition postbeckettienne. La modernité de son écriture tranchait avec la représentation que je me faisais du roman américain, plus pragmatique. Or dans les romans de Paul, les personnages sont plongés dans le doute, dès le départ, les résonances du hasard et les bifurcations narratives sont fondamentales », précise Bertrand Py.
Les textes de Paul Auster emportent les lecteurs dans les pensées chahutées de personnages marqués par le doute. « L’indécision est un élément essentiel de sa narratologie, et il est à la recherche de variations constantes. Pour lui, un roman est constitué d’une succession de carrefours et de bifurcations. Quand il choisit de se lancer dans un chemin, il se demande toujours ce qui se serait passé dans une autre configuration. Son dernier gros roman, 4 3 2 1 est une exploration des variations possibles autour d’un même personnage », poursuit le directeur éditorial, profondément admiratif de la portée métalittéraire des textes de Paul Auster. Au fil des récits, l’auteur interroge régulièrement son geste d’écrivain, en mettant en scène les différentes options narratives qui s’offrent à ses personnages.
« Planqué derrière ses lunettes fumées… »
Relire Paul Auster, c’est le retrouver au détour de ses pages, parfois autofictionnelles. « Le jeu avec la fausse autobiographie permet d’induire dans sa propre narration des possibilités d’extension supplémentaires. Il est capable de vous embarquer dans une immense parenthèse descriptive pour faire exister sous nos yeux un film qu’il invente, tout peut faire partie de son roman, c’est sa marque de fabrique, et son magnétisme narratif fonctionne sans arrêt. Dans Moon Palace, tous les possibles de la narration sont explorés, et c’est un cosmos du langage, une fête de l’imaginaire, du hasard. Son personnage est cassé, désargenté, déprimé, dans une sorte de “road movie” existentiel et c’est formidable ! » ajoute Bertrand Py avec ferveur.
Paul Auster avait passé quelques années à Paris dans sa jeunesse, et son éditeur se souvient de son bonheur à y revenir régulièrement. « Une fois, nous avons déambulé une demi-journée ensemble dans le quartier de Montparnasse, on est allés au cinéma, certains lecteurs le reconnaissaient. Planqué derrière ses lunettes fumées, il était comme un poisson dans l’eau. Son charme personnel, sa disponibilité, sa générosité à l’égard du public séduisaient. Il était passionnant pendant les entretiens et il savait capter l’attention de son public », raconte l’éditeur d’une voix douce, gagnée par la nostalgie.