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La vie est-elle venue de l’espace : nouvel épisode…
 

Je reviens cette semaine sur un sujet passionnant que j'aborde régulièrement dans notre lettre : l'origine de la vie sur Terre. Au cours de ces derniers mois, plusieurs études et découvertes sont en effet venues éclairer cette énigme qui fascine les hommes depuis l'Antiquité. Nous savons à présent que les première formes rudimentaires de vie - sans doute des cyanobactéries - sont sans doute apparues il y a 3,8 milliards d’années, à peine 800 millions d’années après la formation de la Terre.

 

Pour essayer d’expliquer cet événement extraordinaire, il y a presque un siècle, dans les années 1920, un biochimiste soviétique, Oparine, et un biologiste anglais, Haldane, émirent indépendamment une théorie de la « soupe primitive », basée sur l’hypothèse que des composés prébiotiques ont pu être synthétisés sur la Terre, sous l’effet des conditions physico-chimiques et thermiques tout à fait particulières que connaissait notre planète dans ce lointain passé. Selon ces deux scientifiques, le méthane, le dioxyde de carbone ou l'ammoniac, présents dans l'atmosphère primitive de la Terre, auraient été brisées sous l'action des rayons UV du Soleil ou des éclairs, pour former des molécules plus grosses tombant ensuite dans les océans. Au sein de cette soupe primitive, les molécules organiques auraient permis la formation des premières cellules vivantes.

 

Il fallut attendre 1953 pour qu’un tout jeune chimiste américain, Stanley Miller, imagine et réalise une expérience historique : un dispositif amenant une vapeur d'eau enrichie en méthane, ammoniac et hydrogène jusqu'à des électrodes, afin de reproduire l'action des éclairs ou des UV sur l'atmosphère primitive. On connait la suite. Miller montra que l’eau résultant de la condensation de sa vapeur contenait cinq acides aminés, briques de base de la vie. En 2008, deux autres scientifiques américains, Jeffrey Bada et Adam Johnson, s’inspirèrent des travaux de Miller pour réaliser une nouvelle expérience dans laquelle ils recréèrent des conditions proches d'une éruption volcanique : ils parvinrent alors à produire pas moins de 22 acides aminés avec cette nouvelle « soupe primitive ».

 

Mais depuis un siècle et demi, une autre théorie fascinante, par ailleurs compatible avec celle de la « soupe primitive », tente d’expliquer les origines de la vie sur Terre par une action décisive venue de l’espace. Cette théorie de la « panspermie » a été formalisée par l’allemand Hermann Richter vers 1865. Elle postule que la vie aurait pu émerger sur notre planète grâce à l’action de micro-organismes enfouis dans les nombreuses météorites percutant la Terre.

 

Or, justement, la météorite de Murchison est tombée en 1969 près du village de Murchison, en Australie, à une centaine de kilomètres au nord de Melbourne. C'est une chondrite carbonée du groupe CM2. En 2010, une étude scientifique approfondie a pu identifier 14 000 composés moléculaires, dont 70 acides aminés dans cette météorite. Celle-ci est célèbre pour avoir fortement influencé la conception des origines de la vie en raison de la présence de nombreux composés organiques en son sein, dont des acides aminés. Ces composés étant des briques essentielles du vivant, leur présence dans une météorite accrédite l'idée que les premiers constituants nécessaires à l'émergence de la vie ont eu une origine extraterrestre.

 

En 1998, deux météorites contenant un mélange fascinant de produits chimiques se sont écrasées sur Terre. Elles ont été récupérées et conservées pour analyse pendant 20 ans. Mais en janvier 2018, en utilisant un nouvel outil très puissant, les rayons X de l’Advanced Light Source (ALS) du Lawrence Berkeley National Laboratory en Californie, les scientifiques ont montré que ces petites roches contiennent tous les ingrédients nécessaires pour faire naître la vie partout où elles atterrissent, et qu’elles ont peut-être voyagé depuis un monde océanique lointain (Voir Science Advances). « C’est vraiment la première fois que nous trouvons une matière organique abondante associée à l’eau liquide qui est vraiment cruciale pour l’origine de la vie », explique la scientifique Queenie Chan de l’Open University au Royaume-Uni, qui ajoute, « Tout mène à la conclusion que l’origine de la vie est vraiment possible ailleurs ».

 

Début décembre 2019, une équipe internationale associant des chercheurs de la NASA et de l’Université de Tohoku (Japon) a trouvé, dans deux météorites, des molécules de sucres essentiels à la vie. Cette nouvelle découverte renforce elle aussi l’hypothèse selon laquelle le bombardement de météorites sur la Terre primitive pourrait avoir favorisé l’apparition de la vie en y apportant les éléments de base (Voir PNAS).

 

L’équipe a découvert du ribose et d’autres sucres, notamment l’arabinose et le xylose, dans deux météorites riches en carbone, NWA 801 (type CR2) et Murchison (type CM2). Ce qui rend cette découverte si intéressante, c’est que le ribose est un composant crucial de l’ARN (acide ribonucléique). L’ARN sert de molécule messagère, copiant les instructions génétiques de la molécule d’ADN (acide désoxyribonucléique) et les transmettant à des usines moléculaires au sein de la cellule, appelées ribosomes, qui « lisent » les instructions de l’ARN pour fabriquer des protéines spécifiques. « D’autres éléments importants à la vie ont déjà été découverts dans des météorites, notamment des acides aminés et des bases nucléiques, mais les sucres ont été un élément manquant parmi les principaux éléments constitutifs de la vie » déclare Yoshihiro Furukawa, de l’Université de Tohoku, au Japon, qui ajoute, « Notre étude apporte la première preuve directe de la présence de ribose dans l’espace et de l’apport du sucre sur Terre. Le sucre extraterrestre pourrait avoir contribué à la formation d’ARN sur la Terre prébiotique, ce qui a probablement conduit à l’origine de la vie ».

 

En 2015, la mission Philae de la NASA avait déjà observé et inventorié pas moins de 16 molécules organiques différentes sur la comète Tchouri et, en 2013, des astronomes avaient par ailleurs découvert la présence d'une molécule qui produit l'une des quatre bases azotées de l'ADN parmi les particules de glace d'un nuage de gaz interstellaire géant, à 25 000 années-lumière de la Terre, ce qui montre que la production de molécules organiques complexes n’est pas limitée à notre système solaire mais existe également dans l’ensemble du Cosmos, en tout cas loin dans notre galaxie.

 

Léon Sanche, professeur-chercheur à l’Université de Sherbrooke, a publié, pour sa part, en novembre 2017, dans le Journal of Chemical Physics, une étude qui démontre qu’il est possible de créer de petites molécules organiques à partir d’un environnement glacial irradié par des électrons lents. Ces chercheurs ont découvert qu’une variété de petites molécules organiques comme le propylène, l’éthane et l’acétylène, peut être produite à partir du méthane congelé. En 2018, la même équipe a montré qu’en bombardant, à l’aide d’électrons de basse énergie un mélange de molécules de  méthane, d’ammoniac et de dioxyde de carbone, qu’on trouve en grande quantité dans le vide interstellaire, on obtient de la glycine, un acide aminé indispensable à la structure de protéines composant les organismes vivants (Voir AIP).

 

Ce n’est pas la première fois que les composants de base de la vie sont détectés dans les météorites. En 2009, l’agence spatiale américaine avait déjà annoncé la découverte de glycine et de nucléobases dans une comète. Ces découvertes avaient conforté l’hypothèse que les astéroïdes et météorites pouvaient être le lieu de réactions chimiques produisant des ingrédients de la vie. Mais il restait à prouver que cela était également vrai pour la formation de certains sucres : c’est désormais chose faite !

 

Cette nouvelle découverte est capitale car elle renforce très sérieusement la théorie de la vie venant de l’espace, grâce à l’action décisive des météorites. Selon cette hypothèse, les toutes premières formes biologiques terrestres ne contenaient pas d’ADN, mais seulement de l’ARN. Or les molécules d’ARN ont une propriété tout à fait singulière, contrairement à l’ADN, elles peuvent se répliquer toutes seules, sans l’intervention d’autres molécules, et peuvent servir de catalyseur aux réactions chimiques. Dans ce scenario, c’est seulement dans un second temps, passé un certain stade de complexification du vivant, que l’ADN serait apparu…

 

Dans notre système solaire, une foule de molécules organiques complexes ont également été détectées par la sonde Cassini dans l’atmosphère de Titan, le plus gros des satellites de Saturne. Parmi ces molécules, on trouve notamment de la glycine et de l’alamine, deux composés organiques qui sont à la base des acides aminés et des protéines constituant l’ADN des organismes vivants sur Terre.

 

En 2017, l’analyse des données du radiotélescope ALMA au Chili avait déjà permis de révéler la signature de molécules essentielles à la vie : l’acrylonitrile, essentielle à la présence de membranes cellulaires dans des couches de lipides, et la pyrimidine, formant les anneaux structurels des molécules d’ADN dans les organismes vivants sur Terre.

 

Autre expérience capitale : en 2010, une équipe internationale de recherche a reproduit dans une enceinte les réactions chimiques susceptibles de se produire dans l'atmosphère de Titan. Ces expériences ont pu montrer que le rayonnement intense qui atteint les couches supérieures de cette atmosphère avait la capacité de briser des molécules très stables et de produire des molécules organiques complexes comme des acides aminés et des bases nucléotidiques, qui sont les briques de base de la vie sur Terre. Ces recherches avaient permis de montrer que les cinq bases nucléotidiques utilisées par toutes les formes de la vie sur Terre (cytosine, adénine, thymine, guanine et uracile) pouvaient bien être produites dans l’atmosphère tourmentée et hautement énergétique de Titan.

 

En juin 2018, une autre étude réalisée par une équipe internationale associant des chercheurs américains, allemands et français, a montré que des composés organiques complexes sont présents dans l’océan qui recouvre toute la surface d’Encelade, sixième lune par la taille des 82 satellites répertoriés de Saturne. Des échantillons organiques éjectés dans l’espace par d’immenses geysers, et piégés dans la glace, ont été récupérés en 2015 par la sonde spatiale Cassini (Voir Nature). Les scientifiques eurent alors la grande surprise de constater que, non seulement Encelade renferme des composants d’origine organique mais que ces derniers sont supérieurs à 200 unités de masse atomique et appartiendraient à des fragments de grandes molécules organiques complexes… L’hypothèse actuelle des chercheurs est que ces molécules organiques proviennent d’une activité hydrothermale conduisant à une chimie complexe au cœur du noyau d’Encelade.

 

Rappelons enfin qu’en juin 2018, l’analyse des prélèvements réalisés par le rover Curiosity, à quelques cm sous la surface de Mars, sur deux sites distincts du cratère de Gale, a montré la présence d’une grande quantité de molécules organiques complexes, thiophènes, toluène et benzène notamment, ce qui n’a pas manqué de relancer les spéculations sur la possibilité d’une forme de vie rudimentaire, présente ou passée, sur la planète rouge.

 

Ces récentes observations et découvertes sont capitales, car elles montrent que l’apparition de la vie sur notre planète – et peut-être sur d’autres mondes – a pu être, sinon provoquée, du moins grandement facilitée par l’apport de composants organiques variés et complexes acheminés par les comètes qui n’ont cessé de bombarder la Terre depuis son origine. Mais ces avancées de l’astronomie et de l’astrophysique montrent également que ces molécules organiques complexes sont bel et bien présentes en grande quantité en plusieurs endroits de notre système solaire, notamment Titan, Encelade et Mars, et cela, malgré les conditions extrêmes de températures et un environnement a priori bien peu propice à leur présence.

 

Même en refusant de se livrer à des spéculations toujours hasardeuses sur le développement possible de la vie sur quelques-unes des 9 à 10 milliards de planètes potentiellement habitables que compte notre galaxie (la Voie lactée), nous savons à présent qu’il est raisonnable d’imaginer que la vie puisse exister ailleurs que sur Terre, dans notre propre système solaire. Si tel est le cas, les progrès incessants dans les outils d’observation et d’analyse, ainsi bien sûr que différentes missions d’exploration prévues sur Titan, Encelade et Mars, devraient permettre d’en avoir le cœur net avant la fin de ce siècle…

 

René TRÉGOUËT / Sénateur honoraire / Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat / e-mail : tregouet@gmail.com

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