top of page
Réaction suite à l'incarcération de Jean-Pierre SANTINI, Norbert Paganelli :

 

 

Mais pourquoi donc Jean Pierre Santini n’est-il pas remis en liberté ?

 

Norbert Paganelli est membre fondateur du comité de soutien à Jean Pierre Santini, il tient à préciser qu’il exprime dans ce texte un avis personnel 

 

            J’ai rencontré Jean Pierre Santini, la première fois dans le milieu des années 70. Il animait alors un micro parti et j’avais été intéressé par la synthèse qu’il proposait entre la problématique marxiste et la revendication nationalitaire (on ne disait pas encore nationaliste). Il me semblait que la gauche officielle ne prenait pas suffisamment en compte la dimension locale dans son approche globalisante et cédait un peu facilement à la thématique cocardière débouchant, quoi qu’on en dise, sur le poncif de l’indivisibilité de la République.

 

            Vivant à Paris, je n’ai pas eu l’occasion d’approfondir véritablement la synthèse qu’il m’avait présentée mais j’ai conservé intact le souvenir de ces échanges.

 

            J’ai retrouvé Jean Pierre trente ans plus tard lorsqu’il fonda sa maison d’édition et qu’il me proposa de publier un recueil de poèmes en édition bilingue intitulé Canta à i sarri/ Chants aux crêtes. Il m’avait confié qu’il était sensible au côté « minéral » de mon écriture et je découvris, par la suite, qu’il était un véritable amoureux des roches qui, pour lui, symbolisaient la terre insulaire. Le préfacier du recueil, Jacques Fusina, m’avait mis en garde sur le caractère exigeant et inhabituel de mes textes. Jean Pierre, lui, les trouvait limpides et promis à un bel avenir. L’avenir lui donna raison, le recueil fut primé dès sa sortie en Sardaigne (Prix Santa Teresa di Gallura), réédité et primé une seconde fois (Prix du Conseil départemental de Haute Corse). Jean-Pierre eut, à cette occasion, ces mots : « C’est l’une des rares fois où je ne me suis pas trompé... »

 

            Ce propos est parfaitement révélateur de son fonctionnement : admettre que ses convictions peuvent se révéler inexactes en incluant le doute systématique dans l’articulation profonde de son raisonnement. C’est la raison pour laquelle il n’assène aucune vérité, il présente simplement sa position tout en prêtant une oreille attentive aux propos de son interlocuteur. Ce comportement est assez rare et mérite d’être signalé.

 

            Mais, me dira-t-on, ce doute fondamental risque fort de conduire à l’inaction puisque pour agir il faut bien quelques certitudes !  Justement non, Jean Pierre peut agir malgré ses doutes et peut-être même en raison de ces derniers afin de signifier que rien ne sera jamais parfait, que tout est plutôt bancal et qu’il faut se résoudre à cet état de fait. À l’imperfection de la théorie, qui est incapable d’embrasser la totalité du réel, répond l’imperfection de l’action qui n’est jamais tout à fait conforme à l’intention originelle.

 

            Il avait écrit, à maintes reprises, que le mouvement nationaliste avait perdu son âme puisqu’il était infiltré par une pensée plus que conservatrice qu’il réprouvait. Il avait, de même, dénoncé la porosité entre cette mouvance et la sphère affairiste et mafieuse...Il souhaitait donc refonder la revendication insulaire, non pas sur de nouvelles bases, mais sur celles qui avaient présidé à sa fondation. Comme je lui faisais remarquer que les dérives n’étaient pas propres à son courant de pensée mais affectaient, peu ou prou, toutes les structures s’inscrivant dans la continuité, il me répondit que quelques espoirs existaient peut-être encore. Je demeure convaincu qu’au moment même où il me disait cela, il pensait qu’il se trompait peut-être.

 

            Refusant en bloc les institutions françaises, il condamnait donc la participation de ses anciens amis aux affaires de l’île en argumentant que si la Corse devait s’émanciper, elle ne pouvait le faire que dans un cadre qu’elle aurait elle-même forgé, à sa dimension, selon ses traditions et son génie propre.

 

            C’est ce programme que Jean Pierre présenta le 14 juillet dernier au couvent de Casabianca, au moment où surgirent plusieurs hommes encagoulés, masqués et armés afin de revendiquer un mitraillage contre une caserne de gendarmerie. Ce mitraillage, personne ne l’avait remarqué, pas même les gendarmes occupant les lieux.

 

            De longues semaines après les faits, plusieurs hommes furent interpellés dans le cadre de l’enquête visant cette exaction. Certains furent libérés de suite, d’autres mis en examen et placés sous contrôle judiciaire et d’autres maintenus en détention provisoire dont Jean Pierre Santini lequel observe une grève de la faim depuis son arrestation. Malgré son âge (76 ans), malgré les différentes pathologies dont il souffre, malgré son calvaire (plus de 15 jours sans absorber de nourriture), il est toujours maintenu en détention.

 

            Le secret de l’instruction prévalant, il ne nous est pas possible de connaître exactement les griefs qui sont retenus contre lui, nous ne pouvons donc que formuler quelques hypothèses pour tenter de comprendre les raisons de ce traitement :

 

  1. Serait-il soupçonné d’avoir organisé et dirigé l’exaction contre la gendarmerie de Bastia ? Dans ce cas, vu la conséquence pratiquement symbolique de l’acte, si l’on peut admettre la mise en examen on comprend difficilement le maintien en détention puisque les faits sont maintenant connus et on voit mal quel risque pour l’enquête poserait sa mise en liberté sous contrôle judiciaire.

 

  1. Serait-il soupçonné d’avoir simplement inspiré l’exaction sans que sa participation directe soit établie ? Dans ce cas le lien de causalité entre ses écrits, ses discours et l’acte incriminé peut être mis en évidence par une analyse des documents saisis et les éventuels enregistrements téléphoniques détenus. Sa détention n’a donc aucun impact sur une quelconque destruction d’indices.

 

  1. Serait-il soupçonné d’avoir laissé pénétrer le commando armé lors de sa conférence de presse afin de donner plus de poids à ses propos ? Il s’agirait là d’une sorte de complicité tacite pouvant tomber sous le coup de la loi mais ne nécessitant pas, là aussi, une privation de liberté avant procès.

 

  1. Serait-il victime du commando armé qui aurait surgi de manière inopinée, et à son insu, lors de cette manifestation publique ? Nous laissons le lecteur juger par lui-même de l’inadéquation entre ce qui lui serait reproché et le traitement infligé.

 

Ces hypothèses mettent en évidence la distorsion entre les faits et l’extrême fermeté de la justice qui vient, encore une fois, de rejeter sa mise en liberté sous contrôle en nous laissant dubitatifs, voire incrédules, sur les raisons réelles d’un tel acharnement.

 

On dit que les loups, lorsqu’ils ont repéré un troupeau, commencent par se coordonner, choisissent ensuite l’animal le plus isolé, le plus vulnérable et fondent sur lui avec une sauvagerie extrême tandis que ceux qui sont épargnés s’enfuient ou observent de loin le carnage.

 

À chacun de voir si la référence au règne animal nous est utile pour saisir la situation présente, j’ai le sentiment, pour ma part, que c’est peut-être l’une des rares fois où je ne me trompe pas.

 

 

 

                                                                       Norbert Paganelli

bottom of page