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Vannes, le navire russe "Shtandart" 
à la "Semaine du Golfe du Morbihan" ?

par Bernard Grua 

 

Il nous a paru intéressant de présenter à nos lecteurs et lectrices cet article qui met en relief

des intérêts plutôt discutables, en effet comme vous pourrez le lire au travers de cette lettre à

Monsieur le Maire de Vannes...

 

David Robo, maire de Vannes, promeut la fable de Vladimir Martus, propriétaire du yacht

privé russe, "Shtandart", afin de soutenir la participation de ce navire à la "Semaine du Golfe

du Morbihan". Pourtant, les éléments de ce narratif ont du mal à résister à l'analyse et ne semblent pas pouvoir justifier le contournement du cinquième volet des sanctions pris à la suite des massacres russes de Boutcha. Le courrier présenté ci-dessous compare les sources russes avec les allégations de l'affairiste de Saint-Pétersbourg. Article publié intialement sur le blog de Bernard Grua

 

Monsieur David Robo, Maire de Vannes Hôtel de ville Place Maurice Marchais 56000 Vannes 02 97 01 60 00 cabinet.maire@mairie-vannes.fr

Monsieur le Maire,

La « Semaine du Golfe » est une des plus belles, si ce n’est la plus belle fête maritime qui existe en Bretagne, en France et à l’étranger. Avec plus de 1 390 bateaux préinscrits et avec son somptueux décor, le rassemblement de cette année promet d’être un succès. Alors pourquoi noircir la réputation d’un tel événement, permettant d’assurer la pérennité de notre patrimoine maritime, en y associant la prestation commerciale du Shtandart, un navire qui viole le cinquième volet des sanctions pris à la suite des massacres russes de Boutcha ?

Voici près de dix mois que nous lançons l’alerte pour cette affaire et que nous travaillons sur ce dossier complexe. Nous avons examiné de nombreuses sources russes, y compris de la main de Vladimir Martus. Les justifications qui vous ont été fournies, et que rapporte le journal Le Télégramme du 12 avril 2023, relèvent de la propagande et de la manipulation, si ce n’est de la fraude. Le premier magistrat de Vannes ne peut pas se contenter des boniments d’une fiction promue, depuis plus d’un an, par un réseau d’activistes pro-russes, repris en boucle par une presse locale, partenaire des événements maritimes, et ne procédant à aucune vérification à la différence de la presse espagnole. Voici quelques-uns des éléments factuels et documentés, que nous devons porter à votre connaissance.

« Le bateau est propriété d’une association dont le siège est en Allemagne » – faux

« Association » est un terme qui prête à confusion. Il n’existe rien de comparable à notre loi de 1901 en Russie. Disons donc, que le Shtandart appartient à un premier écran, une entité russe, « Shtandart Project », domiciliée à Saint-Pétersbourg. Vladimir Martus, le capitaine du navire, est un citoyen russe, lui aussi domicilié à Saint-Pétersbourg, où résident sa femme et ses enfants. Vladimir Martus détient 60.34 % des parts de « Shtandart Project ». Les moins de 40 % restants sont dans les mains de personnes qui lui sont proches : Andreï Akhmatov (17.88 %) , Lidia Plekhanova (15.64 %), Sergueï Neustupov (3.07 %.) et Sergueï Alekseev (3.07 %). Ainsi, le Shtandart est bien un yacht privé russe. La Semaine du Golfe, ou la municipalité, sont probablement facturées par une société allemande. Mais ce n’est qu’un mécanisme visant à contourner les restrictions qui pèsent sur les établissements financiers russes et visant à faire illusion auprès de l’opinion. Nous sommes donc dans le cas d’un navire immatriculé en Russie, réalisant une activité illégale en France, facturée par une société allemande, deuxième écran, qui n’est ni propriétaire, ni prestataire… Il s’agit là, possiblement, d’une fausse facturation et, plus certainement, d’un mécanisme classique de blanchiment, dont bien des affairistes russes sont familiers.

« Le skipper a des liens familiaux avec l’Ukraine » – malhonnête.

Un Russe sans empathie pour l’Ukraine et les Ukrainiens :

Vladimir Martus, qui est né en 1966 à Leningrad (Saint-Pétersbourg), y a grandi et y a fait ses études dans la même université que son père, mentionne opportunément, depuis mars 2022, que ce dernier aurait une origine ukrainienne. Il n’en a jamais fait état précédemment, aussi bien auprès des médias russes que français. À notre connaissance, personne n’a d’ailleurs vérifié cette assertion. Demandez, Monsieur le Maire, une copie du passeport soviétique du père de Vladimir Martus, où figure la citoyenneté et la nationalité du porteur. Vous serez probablement surpris. Pour ce qui est des « liens » de Vladimir Martus avec l’Ukraine, il y aurait beaucoup à dire.

Lorsqu’en 2014 la Russie a annexé la Crimée et lancé sa guerre dans le Donbass (14 000 morts et deux millions de personnes déplacées), Vladimir Martus a interdit d’en parler à bord du Shtandart. Il s’en est exprimé très clairement, en russe, sur Novaïa Gazeta le 10 septembre 2014

Le 4 août 2016, Vladimir Martus, sur son compte VK (le Facebook russe), dit “Génial ! les nôtres sont plus nombreux maintenant ”. Il s’agit de l’embarquement d’un équipage de Cadets russes à bord du navire “Khersones”, grand-voilier école de la Marine ukrainienne, volé par la Russie lors de l’annexion de la Crimée. S’il se sentait, un tant soit peu, ukrainien, à cette date, il se serait insurgé ou aurait, au minimum, gardé le silence.

Lorsque Vladimir Martus s’exprime en russe, pour des Russes, la mission du Shtandart n’a rien d’ukrainienne. Il l’exposait en juillet 2018 sur “Капитан Владимир Мартусь и его воплощенная мечта — фрегат Штандарт” (Le capitaine Vladimir Martus et son rêve devenu réalité) : 

« …éduquer les jeunes…(à) respecter l’histoire de leur patrie…soutenus par le Comité sur la politique de la jeunesse du gouvernement de Saint-Pétersbourg… éduquer les jeunes au patriotisme. Un vrai patriotisme… le Standard est une histoire incarnée — un pont entre le passé glorieux de l’époque de Pierre le Grand et le présent… J’essaie de réaliser à bord l’idéal qu’on m’a enseigné dans le communisme… en prenant tout le meilleur de l’Union soviétique… ». 

En Ukraine, on voit, aujourd’hui, à quoi conduisent le « patriotisme «  russe, la nostalgie soviétique et les références de Poutine au « glorieux «  impérialisme de Pierre le Grand. 

Si Martus a pu être dérangé par le déclenchement de l’invasion russe en Ukraine, c’est seulement pour ses conséquences sur la Russie et sur ses propres affaires. Il n’exprime aucune empathie pour l’horreur que vit le peuple ukrainien du fait des crimes de ses compatriotes, ni pour les soi-disant membres de sa famille, qui seraient sous les bombes russes. La démonstration de Victoria Nikolenko, polyglotte, docteure en philologie, qui a examiné l’ensemble de ses posts Facebook depuis le 24 février 2022, est sans appel : « Vladimir Martus, le capitaine de la frégate russe “Shtandart”, est-il opposant au régime poutinien ? Les déclarations et les faits « . On ne peut donc pas parler de « liens » ukrainiens en ce qui concerne Vladimir Martus. Pour ce qui est de ses liens avec le pouvoir russe, ils sont explicites.

Des liens étroits avec le pouvoir russe

En 2009, Vladimir Martus a quitté la Russie avec le Shtandart, car il était en infraction avec les règles de sécurité relatives au transport de passagers exigées par Dmitry Atlashkin, directeur du département de la sécurité maritime et fluviale au ministère des transports. Lire sur Komsomolskaïa Pravda « « Штандарт » поступает нестандартно” (Le “Shtandart” sort de la boîte). Il ne s’agissait donc pas d’un désaccord avec la politique du président de la Russie. Au contraire, puisqu’en juillet 2020, une autorité (celle dont il se dit opposant viscéral de longue date) supérieure à celle du ministère des transports et de la municipalité de Saint-Pétersbourg a clôturé le litige en faveur du Shtandart, le rendant libre de rentrer en Russie sans risque de poursuites. C’est d’ailleurs ce qui figure, en russe, sur le site web du Shtandart : « Ждём « Штандарт » в Петербурге ! «  (Nous attendons le “Shtandart” à Saint-Pétersbourg !). 

En octobre 2021, le Shtandart a participé à une mission diplomatique officielle en mer Égée pour « célébrer la gloire de la Russie » en commémorant le 250e anniversaire de la bataille de Tchesmé, « une victoire grandiose sur l’Empire ottoman ». L’expédition, rendant hommage à « une des batailles navales les plus glorieuses de l’histoire militaire russe », était organisée par la Société russe de Géographie dirigée par Sergueï Choïgou, celui qui conduit la guerre en Ukraine. Le président du Conseil d’Administration de la Société russe de Géographie est Vladimir Poutine. La mission de représentation de la Fédération de Russie s’est déroulée sous le haut patronage de ce même Vladimir Poutine. Elle a été financée, et Martus a donc été payé, par le Fonds de Subventions de l’Administration Présidentielle, la cassette personnelle de Poutine.

Quoi qu’il en soit, le texte des sanctions figurant à l‘article 3 sexies bis du règlement UE n°833/2014 est explicite : 

« Paragraphe 1. Il est interdit de donner accès, après le 16 avril 2022, aux ports et, après le 29 juillet 2022, aux écluses situées sur le territoire de l’Union à TOUT navire immatriculé sous pavillon russe, à l’exception de l’accès aux écluses pour quitter le territoire de l’Union… ».

C’est le pavillon du navire qui fait foi. Le reste, c’est du vent. La nationalité réelle ou prétendue du propriétaire, du skipper ou de son équipage n’entre pas en ligne de compte. De plus, rien de tel ne figure au rang des dérogations possibles, lesquelles suivent une procédure bien spécifique.

« La préfecture maritime a confirmé que ce navire école et navire du patrimoine n’était pas concerné par les mesures européennes contre la Russie » – inexact.

À notre connaissance, seul Raphaël Baldos, dans le journal La Croix, a cité textuellement les propos de Premar Brest, voir pièce jointe. Il n’était pas question des sanctions, mais seulement du fait que le Shtandart n’était pas concerné par la convention SOLAS, relative aux navires de transports de passagers. Ce point, qui « l’autorise » à naviguer en ayant déconnecté son AIS depuis le 6 juin 2022, comme les navires de charge russes contournant les sanctions, fait débat. Quoi qu’il en soit, le Shtandart relève bien de plusieurs des conventions pertinentes qui permettent de le classer en tant que navire (russe, qui plus est) tel que spécifié au paragraphe 3 alinéa « a » de l’article 3 sexies bis du règlement UE n°833/2014 : 

« 3. Aux fins du présent article, à l’exception du paragraphe 1 bis, on entend par navire :
a) un navire relevant du champ d’application des conventions internationales pertinentes… »

Si certains affirment, contre toute vraisemblance, que le Shtandart n’est pas un navire et qu’il n’est pas couvert par l’alinéa « a », alors il tombe sous le coup de l’alinéa suivant :

b) un yacht d’une longueur égale ou supérieure à 15 mètres, ne transportant pas de marchandises et ne transportant pas plus de douze passagers ».

Le Shtandart ne peut pas échapper, simultanément, à ces deux alinéas, qui d’ailleurs se chevauchent par endroit.

Dans le cas présent, selon la Commission européenne, « Les autorités compétentes pour délivrer les autorisations prévues dans le cadre du règlement européen 833/2014 sont les préfets de département « . Il ne s’agit donc pas des préfets maritimes. Ceci peut expliquer pourquoi Premar Brest n’a pas explicitement pris position.

 

« Ce bateau est autorisé » – sophisme, voire fraude.

Ainsi qu’exposé, ci-dessus, la position de Premar Brest ne vaut pas quitus en ce qui concerne les sanctions comme le soutient, à tort, Gérard d’Aboville. Il est vrai que l’organisation de la « Semaine du Golfe » montre, par ailleurs, un email censé émaner de la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières (DNRED), voir en pièce jointe. Notons que ce document n’est pas signé et que tout courrier envoyé à l’émetteur signalement-dnred@douane.finances.gouv.fr est rejeté pour adresse non-conforme. Qu’une telle fraude aux sanctions soit endossée ou organisée au sein de la DNRED, voire réalisée à son insu, est une autre affaire. Il n’en reste pas moins que le document du 23 janvier 2023 est une réécriture fallacieuse, dans un sens restrictif, de l’article 3 sexies bis du règlement UE n°833/2014, alors que ce même article vise à l’exhaustivité. Monsieur le Maire, comparez les deux textes. Ils sont incompatibles. Néanmoins, au-delà des sophismes attribués, à tort ou à raison, à la DNRED, la Commission européenne précise que la coordination générale des sanctions, en France, est assurée par le Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères. Le dernier mot reviendra donc au Quai d’Orsay, voire à la Commission européenne, et non pas à un anonyme fonctionnaire français, pro-russe, voire à un agent d’influence, au service de donneurs d’ordres étrangers. 

À ce titre, il est rappelé que, depuis le 28 novembre 2022, le Conseil a ajouté la violation des mesures restrictives à la liste des infractions pénales de l’UE. Le viol des sanctions rejoint donc des crimes tels que « le terrorisme, la traite des êtres humains et l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants, le trafic illicite de drogues, le trafic illicite d’armes, le blanchiment d’argent, la corruption, la contrefaçon de moyens de paiement, la criminalité informatique et la criminalité organisée ». 

Dans un tel contexte, pour la ville de Vannes, s’engager à l’égard du navire russe Shtandart, c’est prendre un risque financier en cas d’annulation de dernière minute comme pour Sète, Bordeaux et Vigo. Pour ses décideurs, c’est encourir un risque pénal. Mais cette collaboration avec un navire ambassadeur d’un Etat reconnu, depuis le 23 novembre 2022, sponsor du terrorisme, peut, surtout, causer un préjudice considérable à la cause du patrimoine maritime, une des richesses, sans équivalent, de notre Bretagne

Enfin, Monsieur le Maire, pouvez-vous personnellement soutenir ainsi que rémunérer un navire russe, qui a précédemment opéré sous le haut patronage de Vladimir Poutine et qui a été payé par ce même dirigeant, lequel est sous le coup d’un mandat d’arrêt international de la CPI pour déportation d’enfants ukrainiens vers la Russie ?

Dans la toxique affaire du Shtandart, seule une décision prise à la lumière des principes de prudence, de moralité, de décence, de civisme, de conformité à la loi et de respect des engagements internationaux de la France vous permettra et nous permettra, à l’avenir, de garder la tête haute.

Des représentants de notre collectif se tiennent à la disposition de la municipalité de Vannes pour vous rencontrer ou pour rencontrer vos services afin d’exposer le résultat de notre enquête concernant le navire russe Shtandart et son capitaine-propriétaire, Vladimir Martus. Dans cette attente, nous vous prions de bien vouloir agréer, Monsieur le Maire, l’expression de notre considération distinguée.  

Bernard Grua

Porte-parole du collectif #NoShtandartInEurope, Lieutenant de Vaisseau (R), Breton du Morbihan, navigateur féru de patrimoine maritime, cofondateur et ex porte-parole du collectif « No Mistrals for Putin », contributeur à l’ouvrage de Laurent Chamontin « Ukraine et Russie pour comprendre », contributeur à « Russia Beyond », « Ukraine Crisis Media Center », « Ukrinform », etc.

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