MEDIA CORSICA
Pierre Mattei : « Le système de Semop impose de nouvelles barrières à l’entrée. »
Alors que Corsica linea et La Méridionale ont fait une offre commune comme prévu à la date butoir du 14 février,
Corsica ferries juge que sa candidature était « impossible » Son patron Pierre Mattei livre son analyse détaillée
dans un entretien au journal MARIN.
Avez-vous postulé à l’appel d'offres de la collectivité de Corse pour la période 2021-2027, avec participation à
49,9 % dans la future Semop ?
Non, car c’est impossible.On peut, sans risque, prédire qu'il n'y aura désormais plus qu'une seule candidature
aux appels d’offres pour la desserte maritime de la Corse. Notre éviction de la dernière consultation, alors même
que notre offre était la plus avantageuse économiquement et la meilleure techniquement, a marqué un tournant
dans cette prise de décision. Il serait d'ailleurs intéressant de comparer les offres finalement retenues avec les
nôtres pour calculer la perte pour la collectivité. Nos navires étant désormais interdits de compétition par un appel d'offres global et d’opportunes modifications du cahier des charges, nous sommes face à une impasse. Il nous est impossible de répondre alors que nous aurions aimé y donner suite. Sans concurrence, la Corse ne paiera pas le juste prix de ces services. Ce tournoi à un seul joueur n’apportera rien de mieux.
L’appel d'offres semble alors cousu de fil blanc, suite à l’accord Corsica linea - La Méridionale désormais assuré de l’emporter. Si c’est le cas, allez-vous contester ce processus ?
C’est probable. La compagnie n'aura pas d'autre choix que de faire valoir ses droits devant les juridictions compétentes. Cela ressemble furieusement au passé quand le besoin de service public n’était pas justifié, quand Corsica ferries était exclue illégalement ou quand elle était empêchée de répondre aux soi-disant appels d’offres.
Estimez-vous que le nouveau système, dit de Semop, répond à vos critiques sur la DSP ?
Le système de Semop impose de nouvelles barrières à l’entrée, car il ajoute des complexités. Ceci dit, le vrai problème n'est pas inhérent à la structure qui gère le service public, mais toujours dans la définition exagérée du besoin de service public qui conduit à surfinancer ou surcompenser une flotte trop importante. Comme l'appel d'offres devient global et non plus ligne par ligne, il interdit toute concurrence et conduit inéluctablement à une inflation des subventions alors que la logique et les règlements voudraient que la compétition conduise à les faire baisser au niveau du strict nécessaire. Car vous aurez noté qu’il n'y a plus de compétition, même pas entre les armateurs historiques de cette desserte…
Que pensez-vous de l’abandon, avec la Semop, de la desserte par appel d’offres ligne par ligne ?
C’est à notre avis illégal car restrictif de concurrence. La preuve : il n’y a qu’un seul candidat. Si nous étions restés au ligne par ligne, et si les besoins de service public étaient définis réellement en fonction de la carence de l’initiative privée, il y en aurait plusieurs.
« Un test naturel de marché »
Quelle est votre analyse des dernières turbulences de desserte de délégation de service public marquées par les grèves de janvier ? Est-ce selon vous un nouveau symptôme de la fin d'un système ?
Corsica ferries a démontré une fois de plus qu'elle pouvait résoudre les problèmes et que ses équipes savaient se mobiliser rapidement et efficacement pour éviter que la Corse ne soit asphyxiée par la baisse du trafic de marchandises. Nous avons même réussi la performance de réveiller l'intérêt de l'office des transports de la Corse avec qui nous avons organisé un système de compensation des surcoûts pour les tractions des transporteurs qui devaient se dérouter sur Toulon depuis Marseille.
Au passage, nous avons aussi fait un test naturel de marché puisque vous aurez observé que strictement aucun passager n’est resté sur le carreau quand Corsica linea et La Méridionale étaient en grève, et que tous les clients ont pu voyager avec Corsica ferries grâce à son offre extrêmement importante, même hors saison.
En ce qui concerne l'objet de cette grève, dès lors que l'on imposait un appel d'offres global et un actionnaire unique à la Semop, on pouvait immanquablement s'attendre à ce conflit. C’est donc bien systémique. Cela a été très bien compris et dit par les marins et en particulier par un délégué syndical de La Méridionale dans vos colonnes. Dès lors que seule Corsica linea pouvait répondre à l'ensemble du cahier des charges sans rien demander à personne, La Méridionale n’avait d’autre solution que de répondre conjointement avec Corsica linea, si elle lui laissait une place à table, d’où le conflit. Avec l’abandon du ligne par ligne, il n'y avait plus aucun suspense puisque La Méridionale où nous-mêmes ne pouvions pas répondre seuls.
Si la cour administrative d’appel de Marseille condamne le 2 mars la collectivité de Corse à vous payer la somme prévue par l'expertise sur le vieux dossier du service complémentaire à l’époque de la SNCM, vous assurerez-vous de l'exigibilité de cette somme ?
C’est une question étrange. Connaissez-vous une entreprise, lésée par un système de concurrence déloyale à son encontre, qui obtient la juste réparation du dommage subi et qui n’exige pas les sommes qu’on lui doit ? Au nom de quoi devrait-elle s’abstenir ? Pour être complet, le tribunal administratif avait accordé à Corsica ferries une indemnisation de son préjudice pour 84 millions d’euros environ. La cour administrative d'appel de Marseille a confirmé ce jugement et demandé une expertise pour le montant de la réparation du dommage. Cette expertise a confirmé l’évaluation de première instance, voire au-delà. Ce qui était en débat cette semaine était simplement l’exécution du jugement de première instance, dans l’attente que la cour se prononce sur le montant final.
« Faire respecter les règles d’une saine concurrence »
Quelles sont les autres procédures en cours que vous avez engagées devant le tribunal administratif, la cour administrative d’appel ou la Commission européenne ?
La liste est malheureusement longue. Nous avons contesté devant le tribunal administratif de Bastia des décision d’exclusion à notre encontre, en particulier l’affaire de la clé USB qui prend un autre aspect quand on constate la faiblesse de la justification de notre éviction à l’appel d’offres successif, et des contrats susceptibles de nous causer des dommages. Nous avons aussi demandé à la Commission européenne de juger de la validité de la justification par l’office des transports de la Corse du besoin de service public, alors que ce dernier n’a pas tenu compte de notre offre sur la Corse qui couvre naturellement le besoin en passagers. Quel autre choix avons-nous quand des actes publics conduisent à nier l’existence de nos offres, à refuser d’exécuter les jugements qui nous sont favorables, à exagérer et à bâtir des cahiers des charges qui ne répondent pas au besoin de service public mais restreignent la concurrence ? Tout cela conduit à nous éjecter des appels d’offres et à ne jamais rien changer, et nous n’avons que ce moyen à notre disposition pour faire respecter les règles d’une saine concurrence.
Propos recueillis par Thibaud TEILLARD
Avis d'un consommateur :
Grâce à la Corsica Ferries, nous n'avons jamais été bloqués en Corse....