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Afghanistan Papers : le Washington Post a dévoilé les errements des gouvernements américains dans le conflit afghan
DANS UNE GRANDE ENQUÊTE INTITULÉE « EN GUERRE AVEC LA VÉRITÉ », LE WASHINGTON POST A DÉVOILÉ LES ERREMENTS DES GOUVERNEMENTS AMÉRICAINS SUCCESSIFS DANS LE CONFLIT AFGHAN.
Ces révélations sont notamment fondées sur près de 2 000 documents émanant de l’Inspection générale spéciale pour la reconstruction de l’Afghanistan (Sigar), créée en 2008 pour enquêter sur les dépenses abusives liées à ce pays. Ces documents, obtenus après trois ans de recours en justice, ont vite été surnommés « Afghanistan Papers », en référence aux « Pentagone Papers » dévoilés en 1971 au sujet de la guerre au Vietnam.
Les entretiens menés par la Sigar montrent que les responsables politiques des Etats-Unis ont assuré publiquement depuis 2002 qu’ils faisaient des progrès contre les insurgés en Afghanistan, tout en admettant le contraire en privé.
Les entretiens avec des responsables impliqués dans l’effort de guerre évoquent un budget dépensé sans contrôle, dans un pays sans gouvernement central fort, ce qui a alimenté une corruption généralisée et mené la population à rejeter la coalition internationale pour se tourner vers les Talibans.
DES OBJECTIFS INCERTAINS: « ON NE SAVAIT PAS CE QUE L’ON FAISAIT »
« Nous étions dépourvus d’une compréhension de base de l’Afghanistan, on ne savait pas ce que l’on faisait », a déclaré Douglas Lute, responsable pour l’Irak et l’Afghanistan au Conseil de Sécurité Nationale (2007-2014). Quand les Etats-Unis se décident à intervenir avec leurs alliés en Afghanistan, moins d’un mois après les attentats du 11-Septembre 2001, les objectifs semblent clairs. Il s’agit de mener des représailles contre le groupe terroriste Al-Qaïda, désigné comme l’auteur des attaques et d’empêcher de nouveaux attentats.
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Mais, rapidement, le gouvernement américain se perd dans ses objectifs de guerre, comme le révèlent les documents du Washington Post. Qu’essayions-nous de faire ici ? Nous n’avions pas la moindre idée de ce que nous entreprenions. Propos de Douglas Lute, responsable pour l’Irak et l’Afghanistan au Conseil de sécurité nationale (2007-2014) à l’Inspection générale spéciale pour la reconstruction de l’Afghanistan.
« Entre l’influence des Talibans, le rôle flou du Pakistan et l’émergence du groupe jihadiste Etat islamique, l’armée américaine ne parvient plus à savoir qui sont ses véritables ennemis. « Ils pensaient que j’allais arriver avec une carte leur indiquant qui étaient les bons et les méchants », a ainsi témoigné un ancien conseiller d’une équipe des forces spéciales, sous couvert d’anonymat. « Il leur a fallu du temps pour comprendre que je n’avais pas ces informations. Au début, ils n’arrêtaient pas de me demander: ‘Mais qui sont les méchants ? Où sont-ils ?’ »
NOTE DU MINISTÈRE US DE LA DÉFENSE: 775.000 SOLDATS AMÉRICAINS DÉPLOYÉS EN AFGHANISTAN, DONT 2.300 TUÉS ET 20.589 BLESSÉS.
Une note rédigée par l’ancien secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld en 2003: « Je n’ai aucune visibilité sur qui sont les méchants. Nous manquons cruellement d’intelligence humaine. » Un flou qui paraît étonnant au regard des moyens humains déployés par les Etats-Unis. Depuis 2001, plus de 775. 000 soldats américains ont été déployés en Afghanistan. Parmi eux, 2 300 sont morts et 20 589 ont été blessés au combat, selon le ministère de la Défense. Le site indépendant iCasualties.org recense même 2 440 morts. « Si les Américains connaissaient la magnitude de ce dysfonctionnement… Deux mille quatre cents vies perdues », résume en 2015 Douglas Lute.
UN AFFLUX INCONTRÔLÉ D’ARGENT : « UNE COLOSSALE ERREUR DE JUGEMENT »
Pour accompagner la reconstruction d’un Afghanistan marqué par la guerre, les Américains vont mettre en route la planche à billets. Selon une étude de l’université Brown, le seul département de la Défense a dépensé entre 934 et 978 milliards de dollars pour la guerre et la reconstruction. Il s’agit d’un montant bien supérieur à celui du plan Marshall destiné à soutenir l’Europe occidentale après la Seconde Guerre mondiale. « Qu’avons-nous obtenu pour cet effort d’un billion [mille milliards] de dollars ? Cela valait-il un billion de dollars ? » se demande Jeffrey Eggers, un ancien membre des Navy Seals, une unité spéciale de la marine.
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Après l’assassinat d’Oussama ben Laden, j’ai dit qu’il devait probablement bien rigoler depuis sa tombe, compte tenu des sommes que nous avons dépensées pour l’Afghanistan. Propos de Jeffrey Eggers, ancien Navy Seal à l’Inspection générale spéciale pour la reconstruction de l’Afghanistan.
« L’argent dépensé par les Etats-Unis devait servir à mettre sur pied un « nouvel Afghanistan ». Il devait ainsi développer les écoles et les infrastructures, dans le but d’améliorer la sécurité et de lutter contre le sentiment antiaméricain de la population. « C’était une colossale erreur de jugement », estime une source anonyme, cadre de l’Agence américaine pour le développement international (Usaid). « On nous a donné de l’argent, on nous a dit de le dépenser, alors on l’a fait. Sans raison. »
« Nous n’envahissons pas les pays pauvres pour les rendre riches », a expliqué James Dobbins, ancien haut diplomate américain, envoyé spécial à Kaboul sous George W. Bush et Barack Obama. « Nous n’envahissons pas des pays autoritaires pour les démocratiser. Nous envahissons des pays violents pour les rendre pacifiques, et nous avons clairement échoué en Afghanistan. »
UN ESSOR DE LA CORRUPTION : « C’EST FATAL »
Les Etats-Unis ont tenté de mettre en place en Afghanistan une structure étatique calquée sur le modèle occidental. Mais ils n’ont pas pris en compte l’histoire du pays, marquée par le tribalisme, le monarchisme, le communisme et la loi islamique.
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« Notre politique était de créer un gouvernement central fort. Mais c’était idiot parce que l’Afghanistan n’a pas d’antécédents de gouvernement de ce type », explique un ancien responsable du département d’Etat en 2015. « Le délai pour créer un gouvernement central fort est d’un siècle. Nous n’avions pas ce temps-là. »
Résultat, avec l’afflux d’argent américain, la corruption s’est développée à tous les niveaux. « J’aime utiliser une analogie avec le cancer », a détaillé Christopher Kolenda, colonel déployé à plusieurs reprises en Afghanistan, face aux enquêteurs de la Sigar. « La petite corruption est comme le cancer de la peau. Il existe des moyens pour y faire face et vous serez probablement guéri. La corruption au sein des ministères, au niveau supérieur, est comme le cancer du côlon. C’est pire, mais si vous le diagnostiquez à temps, vous guérirez probablement. En revanche, la kleptocratie est comme le cancer du cerveau. C’est fatal. Et c’est ce qui s’est passé avec l’administration du président Hamid Karzai. »
Selon les notes révélées par le Washington Post, la population afghane aurait alors assimilé la démocratie à la corruption. « Quand cela atteint le niveau auquel je l’ai vu quand j’étais là-bas, il est incroyablement difficile voire impossible de régler » le problème, admet, en 2016, Ryan Crocker, ambassadeur à Kaboul en 2002, puis en 2011-2012. Il évoque un fléau qui touche toutes les administrations, de la police à la justice. « Notre plus grand projet, malheureusement, a peut-être été le développement de la corruption de masse. »
UNE GUERRE DE L’INFORMATION : « LES MAUVAISES NOUVELLES ÉTAIENT SOUVENT ÉTOUFFÉES »
Pour ne pas révéler tous les dysfonctionnements à l’opinion américaine, il a fallu mener des opérations de propagande efficaces. « Chaque donnée était transformée pour dépeindre le meilleur tableau possible », affirme le colonel Bob Crowley, haut conseiller de la coalition internationale en 2013-2014. « Les sondages, par exemple, n’étaient pas du tout fiables mais renforçaient l’idée que tout ce que nous faisions était bien », détaille-t-il en 2016.
« Le peuple américain a constamment été berné », estime John Sopko, chef de l’agence fédérale qui a mené les entretiens. « Les mauvaises nouvelles étaient souvent étouffées. (…) Mais lorsque nous essayions d’exprimer des préoccupations stratégiques plus vastes sur la bonne volonté, la capacité ou la corruption du gouvernement afghan, il était clair que ce n’était pas bienvenu », poursuit Bob Crowley.
Cette guerre de l’information explique sans doute le décalage entre les déclarations des politiques et le ressenti des acteurs sur place, comme le résume en 2015 le général Michael Flynn, qui a effectué plusieurs missions de renseignement dans le pays. « [Ils disent tous que] nous faisons du super boulot. Vraiment ? Parce que si nous faisons du super boulot, pourquoi a-t-on l’impression de perdre ?
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